Pour survivre, les activités de nature coopérative doivent composer avec deux types de contraintes :
- des contraintes institutionnelles et économiques propres à leur environnement extérieur ;
- des contraintes internes d’ajustement entre la personnalité de leurs membres et la nature de leurs activités.
On note à ce propos une nette tendance à privilégier le regroupement sectoriel, c’est-à-dire autour de l’activité (dans les fédérations sectorielles) et du statut, plutôt que les regroupements transversaux.
Trois grands statuts permettent d’organiser le cadre juridique de ces activités.
Dans une entreprise associative, différentes formes d’adhésion peuvent être proposées :
- Les associations et les mutuelles sont des groupements de personnes (les membres), dont l’engagement se traduit financièrement par une cotisation, mais peut aussi prendre d’autres formes (apport de compétences, de temps de travail).
- Les coopératives sont des sociétés de capitaux, constituées par la réunion de parts sociales ou d’actions détenues par des sociétaires et réunies dans un capital social.
Détaillons ces différentes formes d’engagement.

La mutuelle
Un individu seul ne peut se prémunir contre tous les risques qui le menacent : l’incendie de sa maison ou une longue hospitalisation excédera toujours sa capacité d’épargne personnelle. D’où l’idée de mutualiser cette protection, c’est-à-dire de gérer en commun la collecte de cotisations et la redistribution entre les membres de la mutuelle.
Le problème de la mutuelle (de santé ou d’assurance) est bien celui d’ajuster cotisations et prestations :
- « Les mutuelles sont des groupements à but non lucratif qui, essentiellement au moyen de cotisations de leurs membres, se proposent de mener, dans l’intérêt de ceux-ci ou de leurs familles, une action de prévoyance et d’entraide. » (Loi de 1985)
- « Les sociétés d’assurance mutuelle garantissent à leurs sociétaires, moyennant le versement d’une cotisation fixe ou variable, le règlement intégral de leur engagement en cas de réalisation des risques dont elles ont pris la charge. » (Décret de 1976)
La coopérative
Les fonctions de crédit, d’approvisionnement, de transformation et de distribution des coopératives nécessitent la mobilisation d’un capital. C’est pourquoi elles ont une forme juridique de société de capitaux (type SARL ou SA), mais dont les propriétaires du capital social sont connus nominativement, même si la coopérative a un statut de société anonyme, et dont les statuts prévoient un certain nombre de règles qui interdisent de les confondre avec des SARL ou des SA lucratives.
Définition :
« Le capital social est le capital minimum réuni à la création d’une société (le montant est fixé par la loi). Ce capital est apporté par des personnes physiques ou morales, qui reçoivent en échange un titre de propriété (les parts sociales) : celui qui apporte 10 % du capital reçoit 10 % des parts sociales. Mais, on verra que dans une coopérative, cela ne lui donne pas 10 % des droits de vote à l’assemblée générale, comme c’est le cas dans les SA ou SARL non coopératives, mais seulement une voix, comme n’importe quel autre actionnaire. De plus, ces parts sont nominatives, alors que dans le cas d’une SA non coopérative, les propriétaires de parts sociales ne sont pas connus personnellement et peuvent revendre leurs parts à qui ils veulent (d’où la possibilité d’être cotées en bourse). »
« Les coopératives sont des sociétés dont les objets essentiels sont :
- De réduire, au bénéfice de leurs membres et par l’effort de ceux-ci, le prix de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou de certains services, en assurant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait ce prix de revient ;
- D’améliorer la qualité marchande des produits fournis à leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrés aux consommateurs. » (Loi de 1947)
Les coopératives peuvent être distinguées selon l’identité des sociétaires et la nature de leur activité :
coopératives d’usagers dans la consommation et le crédit ; coopératives de salariés (SCOP) ; coopératives d’entrepreneurs individuels dans l’agriculture, le commerce de détail, l’artisanat, le transport routier ou la pêche ; coopératives partenariales avec les unions d’économie sociale (UES) dans la recherche, le logement très social, etc.
L’association
Il existe des associations de fait, qualifiées ainsi juridiquement lorsque des personnes ont pour habitude de réaliser des activités communes sans pour autant déclarer de personne morale.
Mais cette situation ne permet pas de gérer durablement une activité économique, et les entreprises collectives qui émergent spontanément d’un groupement de personnes se placent dans le cadre de la loi de 1901 (elles se dotent en conséquence de statuts qui doivent être enregistrés en préfecture), laquelle leur confère une personnalité morale (droit de mener des actions en justice, d’emprunter, de recevoir des dons ou des subventions publiques, etc.).
Les fonctions d’animation dévolues à ces associations privilégient la mise en commun de compétences :
« L’association est une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, de façon permanente, leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que de partager leurs bénéfices. » (art. 1, loi du 1er juillet 1901)
« Toute association qui voudra obtenir la capacité juridique devra être rendue publique par le soin de ses fondateurs », c’est-à-dire par une annonce publiée au Journal officiel. (art. 5, loi du 1er juillet 1901)
Parmi ces associations, 2 000 sont reconnues d’utilité publique par l’État.
Les principes de base de toute coopération
- L’adhésion, sous ses formes diverses, donne droit à la participation aux décisions, selon le principe démocratique (une personne = une voix), contrairement au principe ploutocratique (une action = une voix).
Toutefois, des dérogations à la stricte application de ce principe sont possibles : par exemple, les adhérents peuvent être regroupés par collège (membres actifs ou bienfaiteurs, personnes morales ou physiques, etc.), qui peuvent élire chacun un nombre défini d’administrateurs (nombre qui n’est pas nécessairement proportionnel au nombre d’adhérents de chaque collège).
Les coopératives peuvent réserver une fraction minoritaire de leur capital à des associés non salariés, dont le droit de vote est alors proportionnel à leur apport en capital, sans jamais excéder toutefois la minorité des droits de vote. - Les membres sont convoqués aux assemblées générales (AG) pour approuver l’action de leurs élus et les reconduire ou les remplacer selon le modèle républicain de démocratie représentative.
L’AG élit un conseil d’administration (CA), qui désigne un bureau de dirigeants.
Toutefois, la grande taille de certaines entreprises les conduit parfois à adopter des modes plus indirects de délégation : par élection de représentants à l’AG, et non directement au CA.
Cette représentation à plusieurs degrés peut faire dériver le principe démocratique, quand la pondération des voix dépend non plus du nombre de membres mais du capital social. - Les dirigeants élus ne sont pas, jusqu’à présent, rémunérés pour cette fonction (le gérant d’une SCOP est rémunéré pour son activité technique connexe, définie par un contrat de travail salarié).
Mais cette règle se heurte parfois à la question de la disponibilité des élus, au-delà du remboursement des frais qu’ils engagent : le législateur a donc autorisé l’élu sportif ou l’élu mutualiste à être rémunéré sous certaines conditions (perte de la rémunération professionnelle, notamment). - La cotisation, qui représente un droit d’accès aux services et qui est donc renouvelable annuellement, se distingue de la part sociale, qui est un titre de propriété sur une part du patrimoine de l’entreprise.
Pour ne pas rendre prohibitif l’accès aux coopératives pour les personnes à bas revenu, le montant de la part sociale est généralement faible (100 F) et la loi réduit le montant du capital social minimal nécessaire à la constitution d’une société (2 500 F, par exemple, pour une SARL sous forme coopérative, au lieu de 5 000 F pour une SARL non coopérative à but lucratif). - La non-lucrativité signifie que les réserves de l’entreprise associative sont impartageables, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas être accaparées individuellement.
Les apports initiaux de capitaux et les éventuels bénéfices ultérieurs (les excédents de gestion) sont en effet réinvestis dans l’entreprise (immobilier, équipement ou épargne de précaution) pour maintenir et développer son activité.
Là encore, il existe des variantes selon qu’il s’agit d’une association ou d’une coopérative. - Les dirigeants salariés ne sont pas associés particulièrement aux bénéfices (ils peuvent, comme tout salarié, bénéficier d’un accord collectif d’intéressement aux résultats, mais ne reçoivent pas de stock-options personnelles).
Par ailleurs, les parts sociales sont nominatives, non cessibles en dehors de la coopérative et revendues à leur valeur initiale.
Les coopératives ne sont donc ni source de plus-value, ni OPAbles, ce qui est à la fois un atout pour assurer la stabilité de l’entreprise et un frein pour accéder à de nouveaux capitaux.
En cas de dissolution de l’entreprise, l’actif net (c’est-à-dire ce qui reste après avoir vendu ce qui est vendable et remboursé les éventuels créanciers) doit être concédé à une autre entreprise de même nature (une autre coopérative, par exemple) ou à une œuvre d’intérêt général.
Le patrimoine accumulé dans l’entreprise depuis plusieurs générations ne peut donc pas être abusivement partagé entre les sociétaires restants. - Les statuts ne sont pas immuables. Ils ont été remodelés pour la coopération et la mutualité et complétés (pour les associations) par des textes législatifs et réglementaires.
Pour les mutuelles et les associations, l’évolution traduit une progressive émancipation de la surveillance politique de l’État (liberté des mutuelles, débats sur les associations politiques, d’étrangers…), puis, du fait de l’évolution de leur rôle économique qui les rapproche des coopératives, la réglementation devient principalement économique.
L’impact réel des entreprises associatives sur la société civile
Que font aujourd’hui concrètement les entreprises associatives ?
Concernant le secteur coopératif au sens large (appellation qui regroupe la production, la consommation, l’entraide ou le crédit), on peut dire qu’il occupe une place importante dans la vie socio-économique du pays, malgré le fait d’être éparpillé en de nombreux secteurs et en activités multiples.
Quelques chiffres sur la coopération pour en cerner les contours :
en 2001, on dénombrait environ 1 550 coopératives de production, 5 000 mutuelles, quelque 150 000 associations pourvoyeuses d’emploi, 4 600 caisses locales et 120 établissements de crédit coopératif et mutualiste.
Nous voyons bien maintenant quelle est la nature de l’héritage historique des SCOP : nées de la nécessité et fruits d’une critique radicale de la démocratie bourgeoise, elles se retrouvent aujourd’hui écartelées entre la fidélité aux valeurs originelles et les contraintes objectives de l’économie de marché.